vendredi 2 novembre 2012

Lettre ouverte à Fabian Huret

Cher Fabian,

Tout d'abord, permets-moi de te tutoyer. Nous avons eu nos querelles, nos explications. J'étais allé un peu loin sur des forums ; cela t'avait visiblement touché, et je m'étais excusé. Je pense être un homme correct, j'essaie tant que faire ce peut de ne pas altérer la dignité humaine.

Avec ces projets, ces serpents de mer, qui ébranlent notre profession, et ont la vertu  de mobiliser nombre d'entre nous, je pense soudain à toi. Visiblement, il y a deux ans, une loi que nous considérions comme inique a été repoussée par les représentants du peuple. Mais notre démocratie peut être un fusil à plusieurs coups, selon que la Loi ait l'heur de plaire aux lobbies ou non.

Quant à toi, Fabian, je m'interroge. Tu es Opticien comme moi. Comme les 5600 personnes du groupe des « pigeons » que nous avons créé. Tu es Optométriste, ce que j'aurais aimé être ; mais, en mon temps, l'obtention du Brevet Professionnel  nous donnait le titre d'Opticien-Lunetier, mais ne nous permettait pas de continuer dans cette filière. Mieux, tu diriges, à ce qu'on dit, le DU d'Optométrie à Orsay.

Mais tu es aussi opticien-conseil chez Santéclair. Permets-moi d'écrire à ce sujet le mot désignant notre profession avec une minuscule. C'est toi qui dirige le pôle optique de ce réseau. Mieux, tu es l'un des concepteurs, des architectes, de la mise en œuvre à grande échelle du concept de réseau fermé, et de remboursement différencié.
Piloté par ta patronne, tu passes le temps où tu n'enseignes pas, à voir avec quel étau tu vas pouvoir enserrer, étouffer, cette profession dont, par ailleurs, tu es l'un des plus éminents représentants. C'est sûr qu'elle a cherché et trouvé grâce à toi une caution professionnelle. Quelqu'un peut-être pas assez confiant en soi pour se lancer dans l'aventure de l'entrepreneuriat ; certainement très sincèrement écœuré par les abus qui gangrènent quelquefois notre profession. Mais sois honnête : ces dérives sont finalement rares : on se rend compte, en moyenne, que trois forfaits optiques sur quatre sont finalement inutilisés.

Au lieu de mettre en place une entité sensée s'attaquer aux quelques pseudo-opticiens qui abusent et abusent encore, vous avez préféré, comme dans une classe d'école primaire, la principe de la punition collective. Vous avez préféré le napalm à la frappe chirurgicale. Ce qui aurait pu, finalement, être un début de conseil de l'ordre, un instrument de régulation, a choisi la voie de devenir le cost-killer des mutuelles, appliquant des recettes simplissimes, sur lesquelles je ne m'étendrais pas.

Je me demande quelque chose : à quoi penses-tu, lorsque tu enseignes à tes étudiants, ces jeunes qui ont choisi l'excellence de notre profession ? Aurais-tu le courage de te présenter devant eux, et de leur énoncer « je suis l'un des pincipaux dirigeants d'un organisme qui gère des millions de porteurs de lunettes, et qui excluera 90 % d'entre vous lors de votre parcours professionnel ? ». Des professionnels qui ne représenteront plus pour toi qu'un numéro FINESS, alors que quelques années auparavant, c'étaient des être humains volontaires qui notaient consciencieusement tes cours .

Fabian, nous sommes à la croisée des chemins. Ton aventure jusqu'au boutiste au sein de ce qui, dans mon esprit, s'apparente à une secte, me semble tellement illogique... Ta conviction profonde n'est pas, je le sais, que 9 opticiens sur 10 sont des gens malhonnêtes en puissance. Cette idée est exécrable en soi, tu ne peux pas partager cela. Et donc, comment accepter d'opérer cette sélection ?

Quelles sont tes motivations ?
L'accès au soins ? Soyons sérieux ! La fin de la hausse des prix des mutuelles en fait aussi partie, et tu ne sembles pas t'en préoccuper. Et en ce qui concerne les gens dans le besoin, la CMU existe, permettant l'acquisition de lunettes de qualité sans débourser le moindre euro.
L'argent ? Tu ne peux pas sacrifier une profession, ta profession, celle que tu enseignes, par une sélection que tu sais aberrante, pour cela. Sinon, réveille toi ! Tu as à ta portée des manières bien plus nobles d'en gagner.

Je cherche, je ne trouve pas.

Je ne sais pas si tu liras directement cette lettre. Mais si ce n'est pas le cas, nul doute que quelques uns de tes étudiants vont le faire. Je compte sur plusieurs d'entre eux afin de te la présenter et de te demander de la lire attentivement.

Je ne m'inquiètes pas pour Marianne Binst ; elle survivra. Quant aux mutuelles et aux assurances, leurs résultats parlent d'eux-mêmes. Mais si la loi passe, beaucoup d'affaires d'Optique-Lunetterie, tenues par des passionnés risquent de mettre la clé sous la porte. Avec les drames humains que cela engendre. Les fraudeurs continueront de frauder, eux s'en sortiront toujours.

Peut-être tu réfléchiras enfin. Le moment est grave. Ta prise de conscience serait un symbole. Les pigeons t'attendent.

Amicalement,

Samuel, momentanément pigeon.