vendredi 19 juillet 2013

Crise ouverte au ministère de Marisol Touraine

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Crise ouverte au ministère de Marisol
Touraine


PAR LÉNAÏG BREDOUX ET MATHIEU MAGNAUDEIX
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 19 JUILLET 2013


Alors qu’elle négocie la réforme des retraites, la ministre des affaires sociales est très contestée. Deux hauts responsables du ministère viennent de jeter l'éponge, plusieurs membres du cabinet sont sur le départ.


Un ministère qui perd ses collaborateurs est un
ministère qui va mal. En l’espace de quelques jours,
deux hauts responsables des affaires sociales et de la
santé ont annoncé leur démission. Plusieurs membres
du cabinet de Marisol Touraine sont en partance. Un
signe inquiétant alors que la ministre est en charge de
l’explosive réforme des retraites.


Denis Piveteau © DR.
Selon nos informations, le secrétaire général des
ministères sociaux, Denis Piveteau (photo), plus
haut responsable de l’administration du ministère, a
présenté sa démission vendredi 12 juillet. Nommé en
janvier, il n’aura tenu que quelques mois à ce poste.
Un départ tonitruant, puisque que le “SG” supervise
aussi les administrations des ministères du travail, de
la ville et de la jeunesse et sports.
Dans la foulée, Alain Cordier, le président du “comité
des sages” chargé de la stratégie nationale de santé,
nommé lui aussi en janvier, a fait part de son envie de
quitter son poste. Ces démissions de poids lourds du
ministère ne sont pas encore officielles.
Elles surviennent en réalité après un véritable
psychodrame au sujet du rapport du “comité des
sages”, dont Alain Cordier avait la charge. Ce texte,
qui plaide pour une vaste refonte du système de
santé, a traîné plusieurs semaines avant de faire l’objet
d’un très bref communiqué lundi en fin d’aprèsmidi,
dont la sortie a été précipitée par des fuites
dans la presse. Un sort peu glorieux pour un rapport
censé tracer la politique de santé du gouvernement,
détaillée en février par le premier ministre, Jean-
Marc Ayrault.
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« Le rapport ne convenait pas à Touraine », disent
plusieurs sources gouvernementales, qui accusent la
ministre de vouloir « l’enterrer ». « La stratégie
nationale de santé, c’est central », dément au contraire
son cabinet. Pour expliquer ces loupés, un partisan
de Marisol Touraine préfère évoquer une complexe
bataille d'« ego et de jalousies ». Reste l'essentiel :
la communication autour d'un rapport qui devait faire
date est complètement ratée. Et les premières auditions
au Parlement, prévues en juillet, sont repoussées à la
rentrée.
Parallèlement, trois conseillers de Marisol Touraine
viennent d’annoncer leur départ. Selon nos
informations, cinq personnes ont quitté le cabinet
depuis six mois, dont un “chef de pôle”, Laurent
Chambaud, devenu directeur de l'École des hautes
études en santé publique (EHESP), l'ENA des
directeurs d'hôpitaux. Au total : huit départs en un
an. En décembre, le directeur de cabinet et son
adjointe avaient été brutalement débarqués sur
ordre de Matignon, furieux de la gestion du ministère.
Le responsable de l’organisation des soins, Christophe
Lannelongue, était aussi parti.
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« Au bout d’un an et demi, c’est naturel : il peut
y avoir des mouvements. Mais ça ne veut pas dire
qu’il y a l’incendie et que tout le monde s’en va. Ces
départs sont liés à des choix personnels », temporise le
ministère, qui souligne la rudesse de la vie de cabinet.
Jean-Marc Ayrault et Marisol Touraine le 14 juin © Reuters.
Pourtant, depuis plusieurs mois, des ministres,
conseillers et des députés de la majorité se plaignent,
en “off”, de leurs relations avec le cabinet de Marisol
Touraine. Au départ, ils levaient les yeux au ciel et
soupiraient. Désormais, ils s’affligent d’un ministère
jugé défaillant.
De telles critiques sont souvent nourries par les
concurrents ou les différents lobbies, surtout quand
il s'agit d'un ministère aussi exposé. Elles sont aussi
récurrentes quand le ministre est une femme, cellesci
étant plus facilement taxées d’autoritarisme que les
hommes – c’était par exemple le cas de Delphine
Batho avant son limogeage. Toutefois, de nombreux
témoignages attestent d’une ambiance délétère au
ministère. Marisol Touraine et Denis Morin, son
directeur de cabinet, sont réputés extrêmement sévères
avec leurs collaborateurs. Plusieurs interlocuteurs du
ministère décrivent une ministre « bunkerisée », des
collaborateurs « terrorisés», « stressés », « essorés et
lessivés », qui « se décomposent » régulièrement en sa
présence.
Même les ministres déléguées de Marisol Touraine,
Michèle Delaunay (personnes âgées), Marie-Arlette
Carlotti (handicapés et exclusion) et Dominique
Bertinotti (famille), ont eu à souffrir de relations
très tendues avec leur ministre de tutelle. Le plan
“autisme”, une promesse de campagne de François
Hollande, a par exemple fait l’objet d’une violente
passe d’armes entre Carlotti, qui en avait la charge, et
Touraine, accusée d’avoir bloqué le dossier.
Il a finalement fallu l’arbitrage de Jean-Marc Ayrault
et de François Hollande. Le “plan autisme”, par
ailleurs contesté par une partie des psychiatres, a
pris du retard. Du coup, il a été annoncé un mois
après la journée mondiale contre l’autisme. On a vu
meilleure communication.
L’Élysée et Matignon ont la ministre dans le viseur
depuis des mois. Le “cas” Touraine est souvent évoqué
dans les déjeuners au sommet de l’État. François
Hollande et Claude Bartolone en ont déjà discuté. « On
sait que c’est compliqué, fais un effort… », explique-ton
à Matignon aux élus qui se plaignent d’être pris de
haut par la ministre ou ses collaborateurs.
En privé, Marisol Touraine admet que le bruit de
fond ne lui est pas très favorable. Mais la ministre
est surtout persuadée que d'autres lui ont savonné la
planche. Visé : Aquilino Morelle, le conseiller spécial
de François Hollande, qui rêve du ministère de la santé.
« Collectivement, nous n’avons aucune
vision sur la santé »
En plus des dysfonctionnements internes et de
la personnalité contestée de la ministre, Marisol
Touraine est aussi décriée sur le fond.
À l’automne, la négociation sur les dépassements
d’honoraires, qualifiée par Touraine d’accord «
historique », avait donné l’impression que la ministre
avait cédé au puissant corps médical. « François
Hollande voulait absolument un accord… », rappelle
en privé la ministre, manière de dire qu'elle n'a fait que
suivre la feuille de route.
Dans les couloirs des ministères, on lui reproche aussi
de ne pas être assez active dans la lutte contre les
déserts médicaux, de ne pas revenir assez vite sur la
“tarification à l'acte” instaurée par la droite... ou de
favoriser des « nominations de gens de droite ».
Cet hiver, le député du Rhône Jean-Louis Touraine,
candidat socialiste à la tête de la puissante fédération
hospitalière de France (FHF), qui regroupe un
millier d’établissements publics de santé, a ainsi été
sèchement battu face au président sortant, Frédéric
Valletoux, maire UMP de Fontainebleau. « Elle
n’allait pas s’engager sur une candidature qui avait
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des chances d’être rejetée. Je ne lui en ai pas
voulu », la défend Jean-Louis Touraine, professeur de
médecine dans le civil (il n'a aucun lien de parenté avec
la ministre). « Jean-Louis Touraine aurait été battu
de toute façon : les médecins avaient envie de taper
la politique de santé du gouvernement », explique un
autre socialiste.
Marisol Touraine © M.M.
Ex-strauss-kahnienne ralliée à Hollande, Marisol
Touraine avait animé le pôle protection sociale de
la campagne présidentielle. Au point de devenir la
candidate naturelle aux affaires sociales. Mais au bout
d’un an, ses relations avec les professionnels de santé
se sont dégradées. « Sur tous les sujets, ils naviguent
à vue… Et partout, dans le milieu hospitalier comme
dans le privé, ça craque », explique, sous couvert du
“off’, un cadre du PS.
La ministre peut facilement arguer qu’elle a la tâche
difficile dans un contexte de rigueur budgétaire, avec
des marges de manoeuvre extrêmement réduites. Elle
a loisir de souligner qu'après dix ans de politiques
de droite, le chantier est tel que les changements ne
sont guère spectaculaires. D'autant qu'elle doit gérer
un domaine ministériel très vaste, de la réforme des
retraites à l’assurance maladie, en passant par toute la
politique de santé.
Mais plusieurs responsables socialistes dénoncent
surtout une absence de cap et de cohérence politique.
« Certes, la ministre n’est pas courageuse et n’aime
pas les conflits. Mais ce n’est pas que de sa faute :
collectivement, nous n’avons aucune vision sur la
santé. Pour l’instant, on gère le système. Et on reste à
la botte des médecins libéraux », s’indigne l'un d'eux.
« Le système de soins nécessite des transformations
puissantes pour adapter l’offre de soins aux besoins
de la population et face à cela, nous restons très
“tradis”, s’inquiète aussi le député Jean-Marie Le
Guen, médecin de formation et qui se serait bien
vu ministre. La santé n’est pas portée comme une
priorité du quinquennat et je le regrette. »
« Ministre de la santé est un poste très exposé, c’est
toujours comme cela ! Marisol subit la même chose
que les autres. La question est de savoir si elle réussira
à opérer un tournant dans notre politique de santé. Il
faudra juger sur les actes et sur le projet de loi sur la
santé publique, prévu en 2014 », argue le député Jean-
Louis Touraine.
À moins que les jours de la ministre ne soient déjà
comptés ? En la matière, un pilier de la majorité
suggère l'extrême prudence. « Tout le monde attend
son départ et, par certains aspects, Marisol Touraine
est un problème. Mais elle est aussi politiquement
incontournable pour faire le sale boulot, contre vents
et marées », dit-il, pensant évidemment à la réforme
des retraites qui va occuper l'agenda politique de
la rentrée. De fait, François Hollande et Jean-Marc
Ayrault n’ont aucun intérêt à changer de ministre avant
cette réforme qui s’annonce déjà impopulaire et très
contestée à gauche.


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